Inégalité économique : les quatre mesures clés
Donner une note sur vingt à l’état du monde ? L’idée a de quoi surprendre, mais c’est pourtant ce que tentent, à leur manière, les grands indicateurs des inégalités économiques. Du coefficient de Gini à la fameuse courbe de Lorenz, chaque outil dissèque la répartition des richesses avec ses angles morts, ses biais, ses révélations. Quatre mesures dominent le débat, chacune dévoilant une facette du déséquilibre, chacune influençant discrètement (ou non) le cap des politiques publiques.
Plan de l'article
Pourquoi mesurer les inégalités économiques reste un enjeu fondamental aujourd’hui
Avoir une photographie nette de la distribution des revenus aide à appréhender la réalité sociale, bien loin d’une abstraction froide. En France, les diagnostiques élaborés à partir des statistiques de l’Insee, d’Eurostat ou de la Banque mondiale nourrissent une réflexion qui touche au cœur des arbitrages collectifs. Impossible aujourd’hui de faire l’impasse sur ces données qui structurent la discussion, aiguillent les choix politiques et garantissent une part de transparence dans le débat. Les objectifs de développement durable, portés par l’ONU, font résonner ce besoin de réduire les écarts bien au-delà des frontières nationales.
Mais le niveau de vie égal reste une promesse inaboutie. Les écarts sautent aux yeux sur trois fronts : le logement, les soins et la capacité à transmettre aux générations suivantes. Les prestations sociales et les services publics parviennent à amortir les inégalités sans les faire disparaître, tandis que les cotisations sociales cherchent à marier redistribution et entraide. Ces amortisseurs démontrent leurs limites ; l’Insee pointe d’ailleurs la stagnation de la part de revenu captée par les 10 % les plus riches, quasiment immuable depuis dix ans.
À l’échelle mondiale, le contraste s’accentue. Les différences de revenus au sein de l’OCDE restent marquées, même si les pays scandinaves parviennent à resserrer les écarts par la force de leurs systèmes sociaux. Les bilans réguliers de la Banque mondiale et d’Eurostat servent de socle aux comparaisons et suggèrent des pistes, à la fois pour corriger le tir et pour ajuster les politiques nationales.
Trois grandes dimensions s’imposent dans cette réflexion :
- Inegalités de revenus : elles dessinent la ligne de fracture entre cohésion et crispation collective.
- Niveau de vie : le révélateur d’écarts qui résistent au temps, entre ménages et catégories sociales.
- Objectifs de développement durable : véritable boussole pour suivre l’avancée vers davantage d’équité.
Quatre méthodes pour évaluer les inégalités : panorama et limites
Le coefficient de Gini : la référence synthétique
Imaginé au début du XXe siècle, le coefficient de Gini est devenu l’étalon de la comparaison. Allant de 0 (égalité absolue) à 1 (inégalité maximale), il indique en un clin d’œil l’ampleur de l’écart global. En France, l’Insee observe une constance autour de 0,29 sur le revenu disponible des ménages sur la dernière décennie. Ce chiffre frappe par sa simplicité, mais il recèle une limite de taille : aucune indication sur les endroits où les écarts se creusent vraiment ni sur la nature des populations concernées.
Les déciles de niveau de vie : radiographie fine des écarts
Pour obtenir plus de détails, la distribution par déciles intervient. Elle divise la population en dix tranches, du plus pauvre au plus riche. Comparer les 10 % les plus aisés aux 10 % les plus modestes offre une lecture cinglante de la fracture française. D’après l’Insee, le rapport se situe autour de 3,5. Cette mesure met en lumière les marges de progrès, mais laisse dans l’ombre le volet patrimonial.
L’indice de Palma : focus sur les extrêmes
Moins répandu, l’indice de Palma se concentre sur les extrêmes : il oppose la part du revenu détenue par les 10 % les plus riches à celle des 40 % les plus pauvres. Cette méthode met la lumière sur le phénomène de polarisation, utile pour comprendre le jeu entre les classes opposées. Mais elle ne dit rien de la situation de la classe moyenne, souvent décisive dans les équilibres sociaux.
Les données sur le patrimoine : la face cachée
Des organismes comme la World Inequality Database ou l’Insee compilent également les écarts de patrimoine entre ménages. Ces données, plus difficiles à stabiliser, livrent un constat implacable : dans l’Hexagone, 10 % des ménages concentrent près de la moitié du patrimoine total. La photographie révèle ainsi des disparités qu’aucun indicateur de revenus seul ne peut faire apparaître. Néanmoins, la qualité des sources et les différences de méthode compliquent parfois les comparaisons.

Comprendre les chiffres : comment ces mesures influencent le débat public et les politiques
Les inégalités économiques ne se résument pas à un calcul rapide. Chaque indicateur, du coefficient de Gini aux déciles, projette un éclairage particulier, parfois partiel, souvent débattu. Les statistiques de l’Insee, d’Eurostat ou de la World Inequality Database servent autant de repères que de points d’appui pour qui veut infléchir le débat d’idées ou redessiner l’action publique. La constance du coefficient de Gini laisse penser que rien ne bouge, mais les déciles racontent une réalité plus crue : les écarts entre hauts revenus et classes populaires ne se referment pas toujours, voire s’élargissent à la marge.
Le niveau de vie moyen s’impose partout comme jauge pour évaluer l’effet des politiques sociales et fiscales. Impossible de repenser la CSG ou les prestations sociales sans s’appuyer sur des bilans chiffrés, qui seuls permettent de mesurer l’impact sur les écarts de revenus. Les travaux de figures comme Thomas Piketty ou Louis Maurin rappellent d’ailleurs que l’indicateur choisi oriente le débat national et pèse sur la latitude d’action politique. La répartition des services publics ou la refonte éventuelle de la fiscalité, jusque dans sa dimension écologique, s’appuie là encore sur ces outils pour arbitrer les décisions.
Quelques points méritent qu’on s’y arrête pour comprendre ce que ces analyses apportent :
- Les comparaisons internationales proposées par la Banque mondiale ou Eurostat positionnent la France parmi les pays développés. Elles remettent en jeu des débats sensibles : protection sociale à la française, niveau réel de solidarité, évolution des écarts hommes-femmes.
- Le niveau de vie égal et la mesure du revenu disponible aident à penser, et parfois à revoir, la distribution de la richesse et le pacte de solidarité national.
Chaque rebond dans les statistiques provoque secousses et tensions : repenser l’impôt, bousculer les prestations, renforcer (ou rediriger) l’action publique. Les chiffres, loin de la neutralité froide, nourrissent affrontements d’idées, choix de société et rappellent que l’égalité, elle, ne s’improvise jamais. Peut-être qu’au prochain virage des courbes statistiques, c’est tout un modèle qui changera de direction.