La doctrine de l’anschauung de Pestalozzi et son impact sur l’éducation moderne
L’enseignement du calcul, au début du XIXe siècle, s’appuie encore majoritairement sur la répétition mécanique et la mémorisation des règles. Pourtant, une méthode venue de Suisse bouleverse rapidement ce paysage éducatif en insistant sur l’observation concrète et le raisonnement progressif. Cette approche ne suscite pas partout la même adhésion : dans le canton de Zurich, elle déclenche des débats vifs, tandis qu’à Weimar, elle est adoptée plus prudemment.
Les principes posés à cette époque continuent d’alimenter les réflexions sur la pédagogie des mathématiques. Leur influence persiste dans la structuration des apprentissages élémentaires et la formation des enseignants.
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La doctrine de l’anschauung de Pestalozzi dans le contexte éducatif du début du XIXe siècle
Au début du XIXe siècle, l’école européenne s’enferme dans la répétition et l’autorité. C’est à ce moment précis que Pestalozzi impose sa voix singulière : placer l’enfant au cœur du processus, grâce à l’anschauung, cette manière d’apprendre par contact direct avec le réel. Son institut de Neuhof devient le terrain d’expérimentation de cette nouvelle pédagogie, inspirée de Jean-Jacques Rousseau mais résolument tournée vers l’action et la liberté de l’élève.
Pestalozzi rejette la théorie pure. Il privilégie la progression lente, la main qui manipule avant l’esprit qui généralise. L’idée phare : apprendre, c’est d’abord observer, toucher, s’immerger dans la matière. Le cheminement se fait par étapes : l’enfant regarde, manipule, puis conceptualise. La connaissance naît de cette « première vue », de la confrontation immédiate avec l’objet, bien avant que ne s’impose l’abstraction ou le dogme.
À Neuhof, chaque journée donne lieu à des expériences concrètes. Les enfants, issus de milieux populaires, acquièrent leur autonomie en pratiquant, en posant des mots sur ce qu’ils voient et font. Mais la vision de Pestalozzi va plus loin : pour lui, enseigner, c’est aussi transformer la société. Issu de la République helvétique, influencé par les bouleversements politiques, il estime que l’éducation peut combattre la misère et l’ignorance. Son roman « Léonard et Gertrude » et sa « lettre de Pestalozzi » portent cette ambition, transformant son institut de Neuhof, au sein de sa ville natale, en un véritable laboratoire éducatif observé à travers toute l’Europe.
Voici les piliers sur lesquels s’appuie cette doctrine :
- L’observation comme point d’entrée dans tout apprentissage
- La priorité donnée à l’expérience concrète, avant toute théorie
- L’éducation comme moyen de transformer la société en agissant sur les enfants
Pourquoi la méthode Pestalozzi a-t-elle suscité des réceptions contrastées en Suisse et à Weimar ?
Entre les cantons suisses et la ville de Weimar, la réception de la méthode Pestalozzi ne suit pas le même chemin. À Zurich et Berne, la nouveauté intrigue mais inquiète. Les responsables politiques et les notables bernoises voient dans Neuhof un projet qui dérange l’ordre établi. Parce que l’enfant y est davantage écouté que commandé, parce que l’apprentissage passe par la pratique, l’idée déstabilise les défenseurs de l’enseignement traditionnel, où l’adulte détient toute l’autorité.
À Weimar, l’ambiance est différente. Les esprits sont nourris par les Lumières allemandes, et la pédagogie de l’anschauung trouve un écho favorable. L’observation, l’intuition, la prise en compte de l’élève font mouche auprès d’intellectuels ouverts à la transformation du rapport entre maître et élève. Des courriers, conservés dans divers centres de documentation, en disent long sur la curiosité et l’envie de réforme qui animent certains pédagogues weimariens.
Les raisons de ces différences s’enracinent dans la réalité de chaque territoire :
- Zurich et Berne : sociétés structurées par une hiérarchie stricte, peu enclines à accepter les innovations pédagogiques perçues comme déstabilisantes.
- Weimar : une ville marquée par l’ouverture d’esprit, où l’élite intellectuelle encourage des relations plus égalitaires entre enseignants et élèves.
La correspondance et les témoignages de l’époque mettent en évidence ces tensions. Loin de faire l’unanimité, la méthode Pestalozzi révèle surtout les lignes de fracture, culturelles, politiques, sociales, qui traversent alors l’Europe.

Des fondements du calcul intuitif aux influences durables sur l’enseignement contemporain
Dans l’enseignement actuel, bien des gestes pédagogiques portent encore la marque de Pestalozzi, même si le nom s’efface parfois derrière les pratiques. À l’époque, l’anschauung tranche avec l’habitude : pour apprendre, il faut d’abord se confronter au réel. L’enfant expérimente, construit ses savoirs en manipulant, en observant, en tirant du concret le sens des notions. À Neuhof, Pestalozzi développe ce qui sera plus tard appelé le « calcul intuitif » : chaque idée, chaque règle, prend racine dans une expérience vécue, avant d’être généralisée.
D’un bout à l’autre de l’Europe, de Paris à Leipzig, de Vaud à la France,, cette méthode fait débat. Anna Schulthess, compagne de Pestalozzi, joue un rôle discret mais déterminant dans la diffusion de ses idées. Les archives de l’institut témoignent de ce travail patient, où la théorie ne se dissocie jamais de la réalité du terrain, et où chaque élève devient acteur de son propre parcours.
Trois apports principaux émergent de cet héritage :
- l’enfant occupe une place centrale dans l’acte d’apprendre,
- l’abstraction n’arrive jamais trop tôt,
- l’intelligence se construit dans l’action, pas seulement dans l’écoute.
En parcourant les lettres échangées avec Anna Schulthess ou en consultant les correspondances adressées aux instituteurs, on découvre une vision de l’école où la relation maître-élève évolue, où la possibilité de se tromper devient un passage obligé, non une faute à punir.
De la France à l’Allemagne, l’influence de Pestalozzi continue sa route. Certains manuels scolaires de la fin du XIXe siècle reprennent ouvertement les principes mis en œuvre à Neuhof. L’idée d’un apprentissage actif, où l’élève s’engage à partir de son vécu, irrigue encore les débats pédagogiques aujourd’hui. La trace de Pestalozzi, si elle n’est plus toujours nommée, continue de guider les mains qui enseignent et les esprits qui apprennent. Faut-il y voir un hasard, ou le signe d’une intuition toujours vivante ?